L'interview décalée de Maitresse Cactus
Aujourd’hui nous rencontrons Maxime, elle est professeur des écoles depuis 7 ans. Vous la connaissez peut-être sous le nom de Maîtresse Cactus, son compte Instagram.
Bonjour Maxime, en quelle classe enseignes-tu cette année ?
Cette année j’ai un CP dédoublé à 12 élèves, parce que je travail en REP+. C’est très très agréable ces petits effectifs.
Ça ne plait pas à tout le monde, dans certaines écoles les classes dédoublées sont fuis !
Oui c’est vrai qu’il peut y avoir certaines pressions de nos supérieurs sur les enseignants en classes dédoublées, t’es un peu dans le viseur de l’inspection, t’as pas le droit à l’erreur quoi. Il y a un objectif "100% de réussite" affiché et tout repose sur nous parce que par exemple les classes dédoublées dans ma circonscription n’ont plus le droit aux aides RASED (ndrl: réseau d’aide spécialisé pour les enfants en difficulté). Ils estiment qu’on n’a plus besoin, qu’on peut gérer car on a moins d’élèves alors que ce sont des missions différentes et des enseignants qui ont des compétences spécialisées pour lesquelles nous ne somme pas formés.
J’ai fait tous les niveaux et cette année c’est la première fois que je gardais deux ans de suite le même niveau mais l’inspectrice m’a proposé de faire fonction de Maitre E donc je vais devoir laisser mes élèves en cours d’année. Ça me permettra d’essayer le poste et de voir s’il me plait ou pas pour éventuellement passer le CAPPEI (ndrl: certificat pour devenir professeur spécialisé).
Et ton compte Instagram ? Pourquoi cette initiative ?
Sur Instagram, je suis Maitresse Cactus, j’ai créé ce compte parce que je voulais faire comme les collègues qui m’ont permis de me sentir bien dans le métier.
Quand j’ai commencé j’étais complètement perdue, la formation à la fac était inexistante. Tu arrives il y a plein de sigles, tu comprends rien, t’es pas préparé.
J’ai cherché sur internet comme tout le monde et j’ai trouvé des sites comme Lutin Bazar, Cenicienta… J’ai été impressionnée par ces personnes qui fournissaient gratuitement tout ce qu’elles ont pu mettre en place en classe. Je me suis dit qu’à mon niveau j’aimerais bien faire pareil.
Donc pour toi, tous ces comptes existent pour palier à des manquements de la formation initiale, parce qu’on se sent un peu abandonné quand on débute de le métier ?
C’est complètement ça. En tous cas je le vois comme ça et pour avoir pas mal discuté avec d’autres profs, j’ai eu les mêmes retours. On va sur Instagram pour chercher des gens qu’on peut croire, qui ont l’expérience du terrain pour palier à ce manque de formation.
Bon après, il faut faire attention à ne pas tout embellir sur Instagram et que ça reste réaliste sinon ça peut avoir l’effet inverse.
Donc le but c’était de partager, j’aime bien créer des choses donc autant les partager et qu’elles servent aux autres. Rendre un peu à mon niveau ce que j’ai trouvé sur d’autres comptes quand j’ai démarré. J’y trouve aussi une forme de reconnaissance de mon travail par mes pairs qu’on obtient pas forcément de notre hiérarchie, d’ailleurs je pense que c’est pour ça qu’on est de plus en plus nombreux sur les réseaux. Il y a une communauté qui s’est créé pour se soutenir et partager ses expériences.
Quel était ton rapport à l’école enfant, est-ce que tu as des souvenirs positifs marquants ?
Je me souviens qu’il y avait une maitresse qui venait nous faire l’histoire quand j’étais en CM1. Elle faisait vraiment vivre la matière et c’était trop bien ! Un de mes meilleurs souvenirs c’est de me dire que même si ça me soulait de retenir les dates et tout, de l’écouter nous raconter l’histoire de France ça me passionnait !
Il y a aussi une prof qui m’a marquée en élémentaire, je l’avais eu en CP, CE1 et CE2. Quand je suis partie au collège, j’étais repassée la voir et elle s’était ouverte à moi. Je me souviendrai toujours de cette discussion où elle m’avait dit qu’elle était fière de moi, qu’elle savait que j’avais des capacités et qu’elle regrettait de pas me l’avoir plus dit quand j’étais dans sa classe. Ça m’a vraiment marqué.
Quel genre d’élève étais-tu en classe ?
J’étais très discrète, pas du tout bavarde et je me contentais de faire le minimum pour réussir et qu'on me laisse tranquille. Ma mère me disait toujours que je l’énervais parce que je faisais ce qu’il faut pour avoir la moyenne mais pas plus parce que je savais que c’était suffisant. Un jour je lui avais même dit “mais à quoi ça sert d’avoir plus”. J’étais assez solitaire et un peu “garçon manqué” mais en classe ça se passait très bien.
Est-ce qu’il y a des élèves auxquels tu t’es déjà identifié, qui te ressemblaient beaucoup quand tu étais enfant ?
Oui il y a une élève qui me faisait penser à moi. Je me suis beaucoup identifiée à elle, je me suis rendu compte que j’avais un comportement très protecteur envers elle. J’essayais de lui donner confiance en elle, de lui montrer qu’elle était capable de réussir.
Et du côté enseignante, est-ce que tu as vécu un moment marquant dans ta carrière ?
Oui, c’était il y a 6 ans, quand les CP dédoublés ont commencé, j’avais une classe de CP et à côté de ma classe, il y avait une classe de CM2 où l’enseignant était en difficulté. La classe était très remuante. Il y avait un élève dans cette classe qui était un peu perdu. Il était assez bagarreur, il n’y avait pas vraiment de cadre donc il débordait rapidement. Une fois dans la cour de récré je le reprends fermement, je travaille en REP + donc parfois il faut savoir s’imposer. J’ai même appelé son père pour signaler l'incident, l’appel ne s'est pas très bien passé. Mais le lendemain, je vois son père s’approcher de moi au portail et il me remercie d’avoir était ferme avec son fils et l’élève s’excuse. J’ai pris le temps de discuter avec lui, je lui ai dit que je voyais bien que c’était dur pour lui, qu’il allait pas très bien et je lui ai proposé s’il le souhaitait quand il sentait qu’il allait déborder de demander à venir s’isoler et travailler dans ma classe pour retrouver son calme. C’est un enfant qui avait beaucoup de colère et de frustration en lui. C’est ce qu’il a fait, ça s’est mis en place petit à petit, quand il sentait qu’il allait exploser, il demandait à venir dans ma classe et son attitude changeait complètement. Il se mettait au travail, il aidait mes élèves. L’accueil dans ma classe se passait super bien.
Dans mon école, le dernier jour de l’année, on fait une haie d’honneur pour les CM2 qui s’en vont au collège. Il passe la haie d’honneur puis il s’en va. Je disais au revoir à mes élèves de CP mais je le vois revenir vers moi. Il me dit “Madame, merci. Sans vous j’aurais pas survécu à cette année.” Ça m’a beaucoup touchée, je me suis mise à pleurer puis lui aussi s’est mis à pleurer puis ce gaillard de CM2 m’a demandé s’il pouvait me faire un câlin. Et depuis il passe à l’école régulièrement pour me dire bonjour même maintenant qu’il est au lycée.
A chaque fois qu’il vient on papote un petit peu et je me dis que c’est pour eux que je fais ce métier, pour ces moments là. Peut-être que je l’ai aidé à aimer un peu plus l’école.
Je suis contente que ça me soit arrivé pendant mes premières années d’enseignement parce qu’il y a moyen d’être vite dégoûté par ce métier et ça permet de se rendre compte de l’impact qu’on a dans la vie de certains.
Dans les sujets moins mignons, c’est quoi le plus grand moment de solitude de ta carrière ?
Ma première année, j’avais beaucoup de visites de l’inspectrice parce que c’était la première année des CP dédoublés. Elle feuillette mes cahiers mais ne dit rien de spécial. Dans le cahier de correspondance j’avais mis un mot pour les parents parce qu'on voulait fabriquer des bâtons de pluie et sur le mot il y avait écrit “rouleau de PQ”. J’ai appris que plus tard en réunion de direction elle avait dit qu’elle avait été choquée de voir certains mots dans les cahiers de liaison. Elle en avait parlé à tous les directeurs, que c’était pas possible d’utiliser ce vocabulaire. Moi je ne me suis pas spécialement sentie concernée mais j’ai appris plus tard qu’elle avait montré le mot qu’elle avait pris en photo dans ma classe avec écrit “rouleau de PQ”. Et j’ai appris que tout le monde m’appelait “La dame PQ”.
Et elle ne t’en a pas parlé sur le coup, quand elle était dans ta classe ?
Jamais. Elle ne me l’a jamais dit. Aucune bienveillance. J’étais débutante en plus, elle aurait pu me le dire, pour m’aider à m’améliorer.
Est-ce qu’il y a un moment dans la journée ou la semaine que tu préfères ?
Ce que je préfère c’est quand on fait des ateliers avec mes élèves, c’est vraiment un moment où ils sont dans leur monde, dans leur bulle. Tu les vois vraiment chercher, chacun de leur côté. Bon en P1 (ndrl: septembre-octobre), il faut le temps que ça se mette en place mais quand tous les rituels sont bien installés c’est vraiment sympa.
C’est un temps posé où ils peuvent me solliciter quand ils veulent, je suis là pour eux mais sans être dans la transmission frontale. Je suis pas en position je détiens le savoir et “blablabla”, c’est vraiment eux qui cherchent, qui trouvent et ça les rend hyper fier de réussir un atelier. Quand ils ont fini ils prennent leur atelier en photo et ils me montre la photo, ils sont trop contents de pouvoir faire ça.
Dans l’autre sens, c’est quoi ta kryptonite ? Ce que tu n’aimes vraiment pas enseigner ?
En CP franchement il n’y a rien qui ne me plait pas du tout mais par contre quand j’étais en cycle 3 (ndrl: CM1/CM2) je détestais enseigner la géographie. Je suis nulle en géographie, ça m’énerve (rire) du coup j’arrive pas à l’enseigner correctement.
Mais c’est ça qui est dur dans le métier de professeur des écoles, tu dois tout enseigner, même ce qui n’est pas trop ta tasse de thé.
Oui, on est obligé d’être très polyvalent !
D’ailleurs à l’origine qu’est-ce qui t’as attiré vers ce métier ?
C’était pas du tout mon premier choix, à l’origine je voulais être kinésithérapeute. J’ai fait deux ans de médecine que j’ai complètement ratées. Pour rattraper kinésithérapeute, je suis allée en STAPS (ndrl: sciences et techniques des activités physiques et sportives) parce que c’est un autre moyen d’entrer dans cette filière. En STAPS, il y a aussi une filière enseignement, pour le secondaire mais aussi, là où j’étais, pour le primaire.
C’est là que j’ai commencé à enseigner le sport à des élèves d’élémentaire directement, j’avais fait des séances de lutte avec des CE2, c’était génial. Ça m’a fait complètement kiffer le fait d’enseigner (rires).
Donc après STAPS j’ai fait un Master MEEF (ndlr: métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). C’est vraiment de l’avoir expérimenté sur le terrain avec les enfants qui m’a donné envie.
On peut avoir une vision un peu caricatural de ce métier avant de l’expérimenter aussi qui vient de notre expérience d’élève…
Oui ça peut être marrant de s’imaginer maitresse quoi mais c’était vraiment pas quelque chose dans lequel je me projetais. La vision du métier du point de vue de l’élève et du point de vue de l’enseignant est très différente. De me retrouver en posture d’enseignante ça m’a vraiment beaucoup plu.
Bon maintenant, la question que tout le monde se pose, est-ce que les maitresses ont des chouchous ?
Le terme chouchou, il fait tout de suite stéréotypé mais on peut pas s’empêcher d’avoir plus d’affinités avec certains élèves. Il y a des élèves qui nous ressemblent, qui grandissent dans le même système de valeurs que nous avec qui forcément on accroche plus.
Mais ça signifie pas forcément qu’ils sont traités différemment ?
Exactement ! C’est ça que les gens pensent quand ils disent “t’as des chouchous”, ils pensent tout de suite que tu fais du favoritisme. Alors que pas du tout, notre but c’est de rester juste envers tout le monde.
La dernière question ce n’est pas la plus facile mais si t’avais une baguette magique quelle est la première chose que tu changerais à l’école ?
Ce n’est pas vraiment à l’école mais ce serait le regard de la société sur le métier. Je pense que c’est la base de tout.
En quoi ce regard te pèse ?
J’ai la chance d’être entourée de certaines personnes qui voient bien l’ampleur de la tâche et qui ne font pas de remarques mais d’autres font tout le temps des commentaires “ah t’es tout le temps en vacances” “arrête de râler t’as choisi d’être prof” “ oh mais pourquoi tu travailles encore le soir”. Il y a vraiment une énorme incompréhension et les gens se sentent permis de juger notre travail alors que moi je me permettrais jamais de juger les gens sur leur travail. J’entends des choses vraiment rabaissantes genre “ah moi j’ai mon BAFA c’est bon c’est pas la mort de gérer des enfants” mais ça n’a juste rien à voir de “gérer” et “d’enseigner”. On met complètement de côté le côté pédagogique où au final on a un savoir-faire comme dans les autres métiers.
D’ailleurs là c’est carrément devenu, “c’est bon en quatre jours vous allez être formé”. Quelle image ça renvoie de notre métier ? Je voudrais vraiment que le regard sur la profession change.
Aujourd’hui tu ressens un sentiment de déclassement ?
Oui complètement. Pourtant je travaille beaucoup, j’ai plein de compétences. Les enseignants sont vraiment adaptables et multi-tâches. Ces “speed-datings” ça empire encore plus les choses.
En plus ça casse la confiance que certains parents pourraient avoir en l’école.
Ils se disent non mais je vais envoyer mon enfant avec quelqu’un qui a eu quatre jours de formation à l’arrache et le lien de confiance se brise.
Un grand merci à Maxime d'avoir pris le temps de répondre à mes questions, vous pouvez retrouver Maitresse Cactus sur son blog: Maitresse Cactus ou son compte Instagram: Instagram Maitresse Cactus