Depuis plusieurs années les enseignants alertent sur leurs conditions de travail. Le salaire, les effectifs ou encore les conditions matérielles dans lesquelles ils exercent reviennent souvent dans le débat. Mais au-delà de la crise générale de la profession, il existe une crise plus particulière des vocations. Il manque des enseignants.
En 2022, le concours de recrutement des professeurs des écoles offrait 8323 postes à pourvoir mais seulement 6582 candidats ont été admis. Les mesures d’augmentation des salaires des enseignants décidées par le gouvernement n’ont pas fait de différences majeures puisqu’en 2023, seulement 6910 postes ont été pourvus sur les 8174 offerts.
Cette rentrée, nous avons décidé de donner la parole à ceux qui ont choisi de se lancer dans cette carrière afin de connaître leurs motivations et ce qui les attire vers ce métier. Nous avons rencontré des hommes et des femmes qui débutent en tant que professeur des écoles en ce mois de septembre 2023. Reconversion ou première expérience, nous les avons interrogés sur leurs aspirations, leurs envies, leurs attentes et leur vision du métier.
Un métier de vocation ?
Lou, Pierre, Soizic, Claire et Audrey ont entre 23 et 36 ans. Ils ont pour point commun d’être professeurs des écoles débutants. Pour certains c’est leur première carrière, pour d’autres une réorientation.
Quand on leur demande si ce métier est une vocation, Soizic, 23 ans, est formelle:
“Je veux faire ça depuis mon enfance”.
Issue d’une famille de professeurs, rien n’a jamais ébranlé sa conviction. Elle trouve qu’on apprend beaucoup au contact des enfants et que créer des liens avec eux est très enrichissant. C’est la seule chose qu’elle s’imagine faire. Lou, 31 ans, et Claire, 36 ans, le vivent aussi comme une vocation mais elles ne se sentaient pas prêtes et pensaient, jusqu’à présent, manquer de légitimité. Lou était infirmière. La jeune femme a conscience des enjeux du service public mais aussi de ses limites et ça ne lui fait pas peur.
“Mes collègues m’ont demandé pourquoi je quittais le ministère de la peste pour le ministère du choléra” ironise-t-elle.
Elle souhaite avant tout faire avancer les élèves, les aider à se développer en tant que personnes, en tant que citoyens et faire évoluer leur vision du monde. Claire, quant à elle, était employée dans une grande enseigne de produits culturels. Ecoeurée par la logique commerciale qui pousse ses employeurs à dégrader toujours plus ses conditions de travail, elle dit vouloir “s’éloigner du commerce” et se sentir utile.
Un travail qui a du sens
Pierre, 28ans, et Audrey, 24ans, n’avaient, eux, pas tellement prévu de devenir professeurs des écoles. Pierre s’était orienté vers une carrière d’éducateur spécialisé mais il a été déçu par ses expériences professionnelles. Il s’est souvenu d’un stage dans une école élémentaire qui lui avait beaucoup plu quand il était en licence de STAPS. Il a d’abord été contractuel avant d’obtenir le concours en 2022 et sera titularisé à la rentrée. Ses premières expériences dans l’enseignement ont été positives.
“Je m’amuse et je me sens utile, je fais le maximum pour faire progresser les enfants, ça m’épanouit.”
Quand on leur demande ce qu’ils attendent de ce métier, les réponses sont souvent les mêmes. Trouver du sens dans leur travail, faire avancer les élèves, créer du lien avec eux, se sentir utile.
Des inquiétudes en attendant la rentrée
Mais lorsqu’on leur parle de leur peurs et de leurs angoisses à l’approche de la rentrée, plusieurs approches émergent. Certains ont surtout peur du rapport aux parents d’élèves. Ils craignent de manquer de légitimité en tant qu’enseignants débutants. D’autres ont peur de perdre leur moyens et de ne pas trouver leur place en classe. “J’ai déjà rêvé que j’étais une plante verte en classe et que je ne servais à rien” nous confie Claire.
Ceux qui ont déjà exercé en tant que contractuel auparavant ont des appréhensions un peu différentes. Pierre trouve qu’il est difficile, dans les premiers temps, de changer tout le temps d’établissement.
“On ne sait pas sur qui on va tomber. Nouveaux collègues, nouveaux locaux, il faut se réadapter à tout à chaque fois”.
Mais il garde du recul. “L’école dans laquelle je suis affecté en septembre a brûlé au mois de juin donc j’ai bien conscience que je ne suis pas maître de tout et que des choses nous dépassent”. De son côté, Audrey a déjà était affectée dans trois départements différents et doit encore déménager pour cette rentrée car elle a une nouvelle fois été affectée loin de chez elle. “Je suis un peu dans le déni, je sais que je vais devoir aller là-bas mais j’en ai déjà marre de déménager”.
Enseigner pour la vie ?
Mais alors, ce métier, se voient-ils l’exercer toute leur vie ? Pour certains c’est une certitude, ils parlent du métier “de leur vie”. D’autres sont rassurés d’avoir une porte de sortie au cas où l’expérience ne serait pas à la hauteur. Pierre, lui, pense déjà à la suite de sa carrière. Il voudrait s’orienter vers le milieu universitaire pour faire de la recherche sur les pratiques pédagogiques. Audrey ironise : “L’année dernière j’étais à l’école de 7h à 20h et clairement à ce rythme-là, je ne me vois pas travailler jusqu’à plus de soixante ans”.
Retrouvez notre article sur la crise du recrutement dans l’éducation nationale ici: Y’a-t-il un prof dans la classe ?