L’interview décalée d’une maitresse en baskets

Si je vous dis Les maitresses en baskets, vous avez probablement déjà entendu parler d’elles. Nina et Anaïs, toutes les deux professeurs des écoles, animent ensemble un compte Instagram avec 60 000 abonnés et sont autrices pour les éditions Hatier.

Aujourd’hui nous rencontrons la moitié de ce duo de choc: Anaïs. Anaïs a 29 ans, elle est directrice d’une école de huit classes et enseignante en CE1.

Bonjour Anaïs, est-ce que tu peux nous présenter ton parcours, ce qui t’as mené à l’enseignement ?

Bonjour, alors je suis enseignante depuis sept ans. J’ai fait une fac de sciences de l’éducation, où j’ai rencontré Nina puis un master MEEF. J’ai passé le concours en M1 puis j’ai eu une classe à mi-temps en M2. Avant ça de la L2 au M1, j’étais “emploi avenir professeur”. C’est un contrat étudiant qui permettait aux futurs professeurs d’intégrer une classe 12 heures par semaine.

J’ai toujours voulu faire ça. J’ai une grand-mère institutrice, un père professeur. J’ai toujours grandi dans le monde de l’école. Je ne me suis jamais vraiment posé la question de pourquoi, c’était une évidence.

C’est une vocation ?

Oui tout à fait. Pourtant je n’ai pas eu un parcours évident en tant qu’élève mais bizarrement ça ne m’a pas découragé.

Qu’est ce qui vous a poussé à créer ce compte Instagram ?

On s’est connu à la fac à Créteil et Nina a déménagé à Versailles l’année de notre entrée en Master. On a vraiment préparé le concours à deux, on révisait ensemble par visio, on s’entraidait. On faisait ça à distance ou on allait l’une chez l’autre. Quand on a eu notre concours, on s’est rendu compte que les aides qu’on avait trouvées n’étaient pas forcément accessibles à tous, que beaucoup d’étudiants pouvaient se poser des questions. On était très Instagram avec Nina. Dès le début, on avait nos petits comptes à nous. On s’est dit pourquoi pas ouvrir un compte à deux pour partager notre quotidien de maitresses. Ça n’existait pas à l’époque un compte tenu à deux en plus. Au début on partageait surtout nos fiches et nos astuces pour le concours. On avait créé une boite mail pour le partage mais on a très vite été dépassé par le nombre de demandes donc on a mis en place un drive. Ce n’est pas vraiment explicable, la magie d’Instagram a fait son effet, beaucoup de monde est arrivé pour suivre nos petites aventures. Petit à petit on a fait des partenariats avec des maisons d’édition puis d’autres marques. Puis il y a deux ans les éditions Hatier nous ont contacté pour écrire un livre.

Est-ce qu’en tant qu’élève tu as des souvenirs marquants d’école ?

Mes souvenirs positifs d’école, je dirais que ce sont les enseignants, leur bienveillance, les activités en classe… Je me souviens avoir fait un exposé sur la clarinette en classe parce que je jouais de la clarinette quand j’étais petite. J’étais super fière de parler devant toute la classe. Je me souviens de ma classe de CM2, elle était au dernier étage de l’école, sous les toits. Ça faisait un petit chalet cocon, c’était très agréable.

Tu étais quel genre d’élève ?

Celle qui bavardait. Je parlais tout le temps, tout le temps, tout le temps. J’avais toujours quelque chose à dire. Je voulais toujours répondre, poser des questions. J’étais plutôt bonne élève et très studieuse. Par contre je n’avais pas beaucoup d’amis.

Tu n’as pas une bonne expérience de l’école à cause de la sociabilisation ?

Non, j’ai été harcelée à l’école du CE1 à la Terminale dans deux écoles différentes. En primaire, j’ai été harcelée parce que des copines avec qui j’étais en CP/CE1 ont trouvé un jeu qui s’appelait contaminé / vacciné. Il y a avait un virus et il ne fallait surtout pas l’approcher, lui parler. Le virus c’était moi. Mais à l’époque le harcèlement scolaire n’était pas du tout pris en compte. On n’en parlait pas, il y avait tout un tabou autour de ça. Je pense que les enseignants n’ont tout simplement pas vu ce qu’il se passait sous leurs yeux mais ça a duré plusieurs années jusqu’au CM2. Là j’ai changé d’école. Je suis partie dans une école privée cossue où les familles étaient issues d’un milieu social très favorisé, ce qui n’était pas mon cas. J’étais un peu la paria parce que je n’avais pas le dernier sac à la mode ou le jean tendance.

Est-ce que cette expérience influence la façon dont tu enseignes ? Est-ce que tu te sens peut-être plus attentive ou sensibilisée au sujet du harcèlement scolaire ?

Oui totalement. Il y a des sujets sur lesquels je n’ai aucune patience. Tout ce qui est moqueries, phrases méchantes, tout ce qui peut être blessant, je ne laisse rien passer. Je suis très sévère et stricte là-dessus. Parce que je sais très bien que même une petite phrase bêtement dite ça peut faire beaucoup de mal quand c’est répété et répété. Ça peut paraitre être un jeu pour celui qui le fait mais ce n’est pas le cas pour la victime. Après elle doit se reconstruire et ça prend beaucoup de temps.

Est-ce que tu as entendu parlé de Phare, la méthode de préoccupation partagée ?

Oui, j’avoue que j’étais plutôt sceptique à l’origine car il n’y a pas de sanctions prévues pour le harceleur. L’idée c’est que celui qui harcèle pris avec des témoins pour retourner la situation et que l’état de la victime devienne la préoccupation du harceleur. Mais il n’y a pas vraiment de sanction à proprement dit. J’ai eu du mal au début parce que je me disais que le harceleur pourrait recommencer à n’importe quel moment, il lui suffira de mentir pour passer à autre chose. Pour l’instant ce n’est pas encore mis en place dans mon école car nous n’avons pas été formées mais j’ai que des retours positifs autour de moi. Apparemment ça fonctionne plutôt bien. Ça peut peut-être améliorer le climat de classe et prévenir le harcèlement au lieu de le sanctionner a posteriori.

Est-ce qu’un enseignant t’as marqué pendant ta scolarité ?

Ma maitresse de CM2, elle s’appelait Françoise. Je ne sais pas exactement pourquoi. On est parti en classe de neige pendant 3 semaines. C’était la première fois que je partais aussi longtemps loin de ma famille. Ce sont vraiment des moments qui soudent une classe. Pour une fois, tu trouves ta place. J’ai adoré cette année de CM2. C’est peut-être pour ça que j’adore les CM2 ! Je trouve que les classes de découverte c’est vraiment génial aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.

Et en tant qu’enseignante, est-ce que tu as vécu un moment marquant dans ta carrière ?

J’ai eu une année de T2 assez compliquée avec des tensions dans l’équipe enseignante et je me suis sentie mal à l’école. Pour moi l’école, ma classe, c’était le lieu ultime où je me sentais à ma place. Du coup j’ai commencé à passer moins de temps à l’école et à travailler moins. Même si l’expérience à la base est négative, ça m’a donné du recul sur ce qui est important. Quand on est prof, on culpabilise beaucoup, on a toujours l’impression de ne pas faire assez. Instagram participe beaucoup à ça aussi d’ailleurs. Tout est bien mis en valeur, on a toujours l’impression que les autres font mieux, plus. Mais au final, chacun travaille comme il l’entend et y passe le temps qu’il souhaite. Ça m’a pris du temps de me détacher de ça.

Est-ce que tu as un moment dans la journée que tu aimes particulièrement, un peu doudou ?

Alors dans la journée non pas vraiment mais j’en ai dans l’année. J’adore la période de la rentrée et celle de la fin de l’année. La période 1 et la période 3 ce sont vraiment mes moments doudous. La rentrée j’adore parce que t’as tout planifié, c’est un renouveau. En plus en général il fait beau, t’as des nouveaux élèves, tout est nouveau. Puis la fin de l’année en général c’est quand tout roule. Ta classe a presque plus besoin de toi tellement elle a l’habitude de travailler. T’es vraiment dans ton petit cocon, dans ton confort. Je savoure vraiment ce moment-là. Puis comme c’est le moment où il faut planifier l’année d’après et que j’adore planifier, je suis contente.

A l’inverse, est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’aimes pas du tout enseigner ?

Je ne suis pas très à l’aise avec l’anglais. Je le fais parce qu’il faut le faire. D’ailleurs cette année comme j’ai une direction j’ai laissé l‘anglais à la personne qui me décharge parce que je ne suis pas trop trop fan de l’anglais. Et sinon je déteste la période 3, on part le matin il fait nuit, on rentre il fait nuit. On a froid. C’est déprimant.

Mais qui aime la période 3 ? (rires)

Il fait nuit, c’est long, t’es épuisé. Cette période là, je la déteste.

Est-ce que tu as des élèves qui t’ont touchée ? Auxquels tu t’es identifiée ? Des chouchous ?

Ah ça, on a toujours des chouchous (rire). Cette année j’ai un élève qui n’est pas forcément un chouchou mais qui me rappelle beaucoup moi quand j’étais élève. Ce n’est pas forcément facile tous les jours mais ta petite voix au fond de toi te dit mais rappelle-toi, toi aussi t’étais comme ça, il faut l’aider.

Ton empathie prend le dessus

Oui elle est un peu plus forte et ta patience aussi. Parfois tu n’en peux plus mais tu gardes toujours en tête que ce n’est pas de sa faute. Mais c’est pas forcément bien parce que quand tu t’identifies beaucoup, tu as du mal à ne pas être dans l’émotionnel.

C’est dur de rester dans l’objectivité ?

Oui beaucoup plus dur. Puis ta patience, tes émotions, tout est exacerbé. Le fait de devenir maman aussi tu te mets beaucoup plus à la place des parents. Tu te dis si c’était moi, si c’était mon enfant comment j’entendrais ça. C’est un peu une aide dans la relation avec les parents je trouve. Tu prends plus de pincettes. Quand je n’avais pas d’enfant, j’étais la première à dire que ça ne change rien. Mais en fait si ça change. Ça te rend plus diplomate. Après ce n’est pas parce que tu n’as pas d’enfant que tu ne peux pas enseigner. Ça, pas du tout, c’est clair et net. Mais ça fait évoluer un peu la façon dont tu t’adresses aux parents. Mais à l’inverse quand le parent est déficient, tu es beaucoup plus en colère aussi.

Si on te nommait Ministre de L’Education Nationale demain, quels seraient les premiers chantiers à entreprendre selon toi ?

La revalorisation du salaire en premier lieu. On a bac+5 on n’est pas du tout payé à cette hauteur. Je pense aussi qu’il faudrait faire une grande campagne de communication pour montrer aux gens comment ça se passe sur le terrain. Mettre en valeur les enseignants, montrer tout l’investissement qu’ils ont dans leur métier au quotidien. Parfois l’école c’est un peu devenu un supermarché ou une garderie, les parents se comportent comme des consommateurs et veulent décider de comment les choses doivent se passer. L’enseignant n’a plus son mot à dire.

Est-ce que ça vient uniquement du public ou aussi de l’intérieur avec notamment ce “Pas de vague” ?

Oui ça vient aussi de l’intérieur. Justement quand l’institution laisse les parents avoir des comportements problématiques et enterre les problèmes pour ne pas que ça s’ébruite. Les enseignants ne se sentent pas soutenus.

Puis il faudrait aussi plus de moyens. C’est bien de mettre les classes en REP et en REP+ à 15 élèves mais en milieu banal aussi les effectifs sont trop chargés. On ouvre au maximum l’école aux enfants à besoins particuliers, on parle beaucoup du bien-être à l’école, c’est super mais quand il y a une psychologue scolaire pour 9 écoles. C’est juste impossible. Elle ne peut pas être partout. Les enseignants spécialisés non plus ne peuvent pas être partout.

Il faut changer l’image qu’a ce travail, le revaloriser et ça passe par de l’argent déjà parce qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche surtout avec les prix qui augmentent. Il y a aussi ces problèmes géographiques avec les mutations très difficiles. Je voudrais passer d’un département A à un département B pour me rapprocher de chez moi. Je fais 80km par jour, c’est épuisant. Aujourd’hui pour me rapprocher de chez moi, je dois attendre vingt ans. Juste pour aller dans le département d’à-côté, même pas quitter l’académie. Après il ne faut pas s’étonner que les gens démissionnent. Ils n’ont pas envie de faire deux heures de transports tous les jours jusqu’à la fin de leur vie.

Ça pourrait te pousser à partir ces problèmes géographiques ?

Non pas vraiment parce que j’aime vraiment ce métier et je ne me vois pas faire autre chose.

Merci beaucoup à Anaïs d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Retrouvez Les maitresses en baskets sur leur blog ou sur Instagram.

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