Société

Y'a-t-il un prof dans la classe ?

18 oct.. 2022

“Plein de vacances” “Des horaires tranquilles” “Un métier cool” voilà un secteur qui ne devrait pas manquer de candidats au recrutement… Et pourtant, au-delà des idées reçues, en 2022, les concours du premier et du second degrés de l’Éducation Nationale n’ont pas fait le plein. Plus de 4000 postes sont restés vacants tous concours confondus. Au niveau national, le taux de postes pourvus dans le premier degré public est de 83,1 % alors qu’il était de 94,7 % en 2021. Si on remonte un peu plus loin le contraste est encore plus criant. En 2009, il y avait 41 874 candidats pour 6577 postes au CRPE. Tous les postes ont été pourvus par le concours pour un taux d’admission de 15%. En 2022, Il y avait 14 117 candidats au CRPE pour 8323 postes. 6582 candidats ont été admis pour un taux d’admission de 46 % laissant 1741 postes non pourvus. Pap Ndiaye, le ministre de l'Éducation nationale, a reconnu des "difficultés structurelles" de recrutement mais a soutenu qu’il y aurait "un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France" à la rentrée scolaire. Le recours au recrutement de vacataires et de contractuels non formés n’est pas une nouveauté dans l’Education Nationale mais cette année, le ministère, pour tenir son engagement “d’un professeur devant chaque élève, a été encore plus loin en organisant des speed datings un peu partout en France. Les personnes recrutées par ce biais n’ont souvent aucune expérience ni formation dans l’enseignement et se retrouve en position d’enseigner après une formation express de 4 jours.

Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes appelle ces méthodes “de l'affichage" au micro de BFMTV.com:

"Le ministère pourra à la rentrée cocher la case d'un enseignant devant chaque classe, comme il l'a promis, mais combien de contractuels vont démissionner, combien vont craquer? On oublie qu'enseignant, c'est un métier qui s'apprend, pour lequel on est formé." affirme-t-elle.

Enseignant, Un métier qui n’attire plus

Lorsqu’on demande à Maxime, professeur des écoles de CP, si elle pouvait changer quelque chose à l’école, quelle serait la priorité, elle répond: “je changerais le regard de la société sur ce métier”. Effectivement, si beaucoup pensent que les enseignants ne travaillent que quand ils sont devant leurs élèves, la réalité est bien éloignée. Le service d’un enseignant du premier degré en France est aujourd’hui de 24 heures de présence en classe auquel s’ajoute un service complémentaire annuel de 108 heures dont 60 heures d’aide personnalisé. Lors d’une enquête menée en 2010 par l’INSEE pour le ministère de l’Education Nationale, les enseignants du premier degré déclaraient une durée hebdomadaire de travail d’en moyenne 44 heures par semaines dont 60% devant les élèves, 30% consacrés à la préparation des cours et aux correction et 12% aux travail d’équipe et relations avec les parents ou à la formation continue. Ce temps de travail monte même jusqu'à 52 heures par semaine pour les profs des écoles débutant qui passe presque 10 heures de plus par semaine à préparer leur classe que les enseignants plus expérimentés. Ce décalage entre le temps de présence en classe et le temps de travail réel peut d’ailleurs commencer à expliquer les 6% de professeurs stagiaires qui démissionnent pendant leur première année d’enseignement.

Par ailleurs, malgré la réforme de la mastérisation en 2003 qui exige que les professeurs des écoles soient recrutés au niveau master et non plus au niveau licence, le statut des enseignants du premier degré n’a pas été revalorisé. Le salaire brut d’un professeur des écoles débutant n’est aujourd’hui supérieur au smic que d’un tiers, alors qu’il représentait environ deux fois le salaire minimum en 1990.

Ainsi Jean-Paul Brighelli, professeur de Lettres et essayiste affirme au micro de RTL que

“l’image du prof a évolué au fur et à mesure que son salaire a évolué vers la bas. Nous sommes dans une société (…) où c’est dis-moi ce que tu gagnes je te dirai ce que tu vaux et aujourd’hui un prof ne vaut plus rien.”

Soulignant ainsi que les faibles salaires des enseignants participent fortement au déclassement général de la profession.

Au-delà des difficultés de recrutement, l’Education Nationale est aussi touchée par un phénomène grandissant de départ des agents: le nombre de démission est passé de 364 en 2009 à 2 286 en 2021. Viennent s’ajouter à ça les ruptures conventionnelles, possibles depuis janvier 2020, et les disponibilités pour réorientation professionnelle.

Des conditions de travail qui poussent les profs vers la sortie

Lorsqu’on interroge les professeurs démissionnaires sur les raisons de leur départ ils ne répondent jamais les élèves ou le métier en lui-même mais toujours les conditions de travail. William, prof d’anglais bien connu sur Twitter sous le pseudo de Monsieur le prof, exprime les choses ainsi:

je suis en train d’écrire un livre sur les profs qui démissionnent et les raisons qui ressortent le plus souvent sont toujours les mêmes: le mépris de l’institution, le manque de moyens, le salaire, les mutations et le prof bashing”

On retrouve ainsi des origines multifactorielles à ce mouvement qui s'intensifie chaque année mais elles sont toutes liées   au même sentiment général de déclassement et de délaissement. Des enseignants jadis investis ne se retrouvent plus dans le métier tel qu’il est exercé aujourd'hui et préfère le quitter pour sauver leur peau.

Le mépris de l’institution se traduit par des réformes incessantes et hors sol imposées de façon descendante par des politiciens ou des hauts-fonctionnaires déconnectés du terrain (réforme du lycée, réforme des lycées professionnelles, nouveaux programmes...). La maltraitance parfois affichés des agents par leur hiérarchie ou encore la gestion catastrophique de la crise du COVID par Jean-Michel Blanquer ont pour certains été la goutte de trop. Protocoles à répétitions plus ou moins réalistes, très peu de mesures des protections pour les agents (masques…): le manque de communication et de respect du ministre pour les professeurs pendant la crise sanitaire a atteint son paroxysme lors de la publication dans un article payant du nouveau protocole à mettre en place dès le lendemain dans les établissements. Les profs se sont alors largement étonnés ur les réseaux sociaux de cette pratique plus que surprenante.

Le dialogue entre les successifs gouvernements et ses agents est coupé, Jérémie, professeur de SES au lycée le dit ainsi au journal La Vie:

« J’ai peu de foi dans le système, je n’attends rien de l’institution. Je ne crois pas que mon métier changera, quel que soit le Président ou le ministre. “

Les professeurs n’attendent plus rien de leur hiérarchie, ils ne peuvent compter que sur eux-même et le savent bien, à moyen terme cette situation entraine chez certains un sentiment d’abandon voire de devoir “lutter” contre le système et les poussent à quitter un métier qu’ils affectionnent.