Si vous êtes professeur des écoles, il y a de fortes chances que vous connaissiez La Tanière de Kyban. Suivie par plus de 25 000 personnes sur Instagram, c’est Charlène enseignante en CM2 qui alimente ce blog depuis plusieurs années. Elle est aussi l’auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques (“Réussir en Conjugaison”, “Un cadre serein dans sa classe ça se construit” et “l’Odyssée d’Izia”). Vous l’avez compris, Charlène a de nombreuses réalisations à son actif. On la rencontre aujourd’hui pour la connaître un peu mieux et découvrir son parcours, sa vision du métier et plus encore…
Bonjour Charlène, est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Charlène, j’enseigne depuis une dizaine d’années essentiellement en REP et en zone violence. J’ai commencé ma carrière en galérant beaucoup. Notamment sur les questions de gestion de classe. Tu peux faire de très belles fiches de préparation, en général ça ne se passe jamais comme prévu quand tu enseignes. Et en zone violence encore plus qu’ailleurs. Ça m’a poussée à beaucoup réfléchir et à essayer de trouver des solutions. C’est un peu mon identité de prof d’ailleurs, je réfléchis beaucoup, tout le temps, je me questionne sur ma pratique.
Pour le blog, depuis petite fille, j’ai toujours eu des blogs. J’avais un skyblog déjà (rires), j’ai aussi fait partie d’une communauté qui s’appelait Vox. C’était un peu les débuts de l’influence au final. J’enseignais depuis 3/4 ans et je commençais à prendre confiance en moi. J’avais l’habitude de faire des sites internet puisque j’ai financé mon master en montant une entreprise de webdesign. J’aime vraiment faire ça. Donc j’ai combiné un peu tout ça. Je pensais faire un blog dans mon petit coin comme les précédents. Et en fait non, ça a décollé assez vite. Au bout d’un mois, c’était déjà un peu connu. C’était chouette mais j’avais beaucoup de questions et souvent les mêmes, notamment sur la gestion de classe. Donc ça a aussi imprimé l’identité de mon blog. J’ai essayé de faire des articles de fond avec des conseils pour les jeunes enseignants. Moi-même je n’étais pas très vieille dans le métier mais je partageais le fruit de mes réflexions, les ouvrages que j’avais lus. J’aime ça mais à la naissance de ma fille j’ai beaucoup ralenti. Parce que ben… J’avais plus de temps libre (rires).
Les livres c’est pareil, ça s’est fait un peu tout seul. J’ai été contactée par plusieurs maisons d’édition. Je ne me sens pas toujours légitime mais je me force un peu, je me dis: “allez sors de ta zone de confort”. Au final, j’ai l’impression que les gens aiment plutôt ce que j’écris donc je continue.
Mais à l’origine, qu’est-ce qui t’a poussée vers ce métier ?
Ça remonte à trop loin pour que je me souvienne…
C’était vraiment une vocation ?
En fait j’avais un peu une vie pourrie petite donc l’école c’était vraiment une bulle. Un endroit où j’étais bien, en tous cas dans mon rapport aux adultes. J’ai toujours beaucoup aimé l’école. Toute petite, je voulais être policière à moto puis en grandissant styliste ou orthophoniste mais j’avais pas forcément les moyens de faire ces études là. Donc je suis restée sur prof qui a toujours été quelque part dans ma tête. Mais la vocation, elle prend cher. Je l’ai encore mais elle se confronte à la réalité du métier et parfois j’ai envie de partir pour sauver ma peau. Pour l’instant je trouve encore l’équilibre même si je reste vigilante parce que le burn out n’est jamais loin. D’avoir eu un enfant ça remet aussi les priorités dans l’ordre.
Ça t’as donné du recul sur ta façon d’exercer ?
Disons qu’il faut que tu t’occupes de ton enfant. Puis si tu l’oublies, il se rappelle à toi (rires).
On en a déjà un peu parlé mais quel était ton rapport à l’école enfant ?
J’ai quelques souvenirs vagues de professeurs que j’aimais bien mais je me rappelle surtout que je me mettais énormément la pression. Enfin mes parents me mettaient énormément la pression, si j’avais un B ça se passait pas bien à la maison. Mais même au-delà de la menace qui planait si la maitresse me disait que je me trompais, je me cachais dans mon cartable pour pleurer. Un rapport à l’échec un peu compliqué donc (rires). Heureusement j’étais plutôt bonne élève donc ce n’était pas trop souvent. J’adorais vraiment apprendre.
Est-ce que ce rapport que tu as eu à l’école, cette pression que tu as ressentie enfant influence aujourd’hui ta façon d’enseigner ?
Si c’est le cas c’est de manière vraiment inconsciente. Les profs que j’appréciais petite était ceux qui étaient bienveillants, vraiment dans l’empathie. Mais ce n’est pas du tout la professeur que j’étais quand j’ai débuté. J’avis pris de plein fouet les injonctions d’autorité mais ça ne marche pas du tout. Non seulement ça ne me ressemblait pas mais en plus ça ne fonctionne pas.
Pourquoi penses-tu avoir aborder le métier de cette façon ? A cause de ta formation ? D’une image projetée ?
Ma formation oui et puis socialement. Le discours ambiant c’est “ah l’école c’était mieux avant, les profs ils étaient respectés”. Donc tu te dis ok je vais y aller franco pour me faire respecter. Mais c’est pas comme ça qu’on se fait respecter.
Est-ce que c’était aussi dicté par la peur ?
Non au contraire je pense que je n’avais pas assez peur. J’ai toujours bien réussi à l’école puis à la fac j’avais pas de raison de m’inquiéter mais la réalité m’a vite rattrapée. En formation on te dit, si vous les mettez au travail et en apprentissage, vous verrez ils seront passionnés et tout ira bien. Puis tu fais tes stages dans des classes de profs expérimentés qui gèrent leur classe donc tout va bien. Mais quand toi la première semaine tu te retrouves face à un élève qui te balance des insultes, c’est très déstabilisant. On fait vraiment pas assez de pratique accompagnée en début de carrière.
Alors tu as remis en question ta pratique et tu as changé de cap ?
Oui totalement, j’ai compris que ces enfants ce dont ils avaient besoin c’est d’un endroit où ils sont en sécurité physique et affective. Ce que j’avais reçu moi enfant à l’école aussi. Je suis allée complètement à l’inverse des recommandations qu’on a pu me faire de part et d’autres. Je me suis vraiment interrogée et j’ai fait beaucoup de recherches par moi-même.
Est-ce qu’il y a des moments “magiques” où tu te sens vraiment à ta place dans ce métier ?
C’est difficile à dire parce qu’il y en a tout le temps. Quand tu as des élèves avec des grandes difficultés, tu as énormément de petites victoires. Cette année ma fierté c’est que j’avais deux élèves qui lisaient 20 mots par minute. On avait fait tous les dossiers pour les ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire ndrl). Et en fait trois mois plus tard on a fait des tests pour les dossiers et finalement on s’est rendu compte qu’ils avaient le niveau pour aller en SEGPA. Ce sont des enfants qui ont de grosses difficultés depuis de nombreuses années et pourtant ils gardent la pêche, ils font le travail et c’est payant. Ils ont énormément progressé et je sais que c’est aussi grâce à moi. Il ne faut jamais désespérer.
Et des moments de solitude ?
Ah ça c’est pareil j’en ai tous les jours. C’est année j’ai une classe vraiment calme mais quand je donnais les consignes il n’y a rien qui passait. Je comprenais pas trop, je les ai interrogés. Je leur ai demandé “mais vous faites quoi quand je donne les consignes” ils m’ont répondu “il faut croiser les bras” “il ne faut pas jouer avec son matériel” “ il ne faut pas dormir”, ils étaient focalisés sur la forme “être sage” et pas du tout sur la compréhension.
Donc on a bossé dur sur la compréhension, sur tout ce qu’on peut faire, le petit film dans la tête et tout ça mais ça a été difficile au début. Et malgré tout ça parfois je me demande pourquoi je suis venue car rien ne passe. Puis magie, trois mois plus tard tu te rends compte qu’ils ont tout intégré.
Qu’est ce que tu aimes et détestes enseigner ?
J’aime vraiment tout enseigner sauf la géographie. J’ai vraiment du mal à mettre du sens derrière le programme de géographie. J’ai l’impression que les concepts sont trop compliqué pour eux. Hormis le développement durable, je ne prends pas vraiment de plaisir. Je n’ai pas encore trouvé comment emmener mes élèves là où ils sont censés aller.
Est-ce que tu as déjà eu des élèves auxquels tu t’es identifiée ?
Oui il y a deux ans j’ai eu une élève qui me faisait beaucoup penser à moi enfant. Elle était plus extravertie mais elle avait toujours beaucoup de choses à dire. Ça fusait dans sa tête. Et elle avait un petit côté “garçon manqué” comme moi plus petite.
Moi aussi on s’est beaucoup moqué de moi à l’école primaire car j’avais les cheveux courts.
J’avais les cheveux longs mais j’aimais jouer au foot, courir, jouer au loup…
Comme beaucoup de petites filles finalement.
Oui comme beaucoup de petites filles si tant est qu’on les laisse faire.
Si demain tu devenais ministre de l’éducation nationale, quel serait ta première mesure ?
Réduire les effectifs. Je trouve que c’est ce qui rend notre métier difficile, ce qui fait qu’on est débordé. On nous rajoute des missions et des missions et des papiers et des machins et des trucs, ça devient un métier impossible. De réduire les effectifs ça permettrait de mettre un peu d’air. Les enseignants auraient l’énergie de faire leur métier correctement. On pourrait beaucoup plus personnaliser les apprentissages, s’auto-former tout au long de l’année. Ce n’est malheureusement pas ce vers quoi on tend mais je crois que ça aiderait beaucoup.
Il faudrait aussi plus professionnaliser les AESH. Il faut que ce soit un métier avec une réelle formation, c’est un rôle important.
Puis augmenter les salaires aussi pour pouvoir mieux recruter. Ce ne serait pas volé.
Retrouvez Charlène sur son blog La tanière de Kyban ou sur Instagram.