“Plein de vacances” “Des horaires tranquilles” “Un métier cool” voilà un secteur qui ne devrait pas manquer de candidats au recrutement… Et pourtant, au-delà des idées reçues, en 2022, les concours du premier et du second degrés de l’Éducation Nationale n’ont pas fait le plein. Plus de 4000 postes sont restés vacants tous concours confondus. Au niveau national, le taux de postes pourvus dans le premier degré public est de 83,1 % alors qu’il était de 94,7 % en 2021. Si on remonte un peu plus loin le contraste est encore plus criant. En 2009, il y avait 41 874 candidats pour 6577 postes au CRPE. Tous les postes ont été pourvus par le concours pour un taux d’admission de 15%. En 2022, Il y avait 14 117 candidats au CRPE pour 8323 postes. 6582 candidats ont été admis pour un taux d’admission de 46 % laissant 1741 postes non pourvus. Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, a reconnu des “difficultés structurelles” de recrutement mais a soutenu qu’il y aurait “un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France” à la rentrée scolaire. Le recours au recrutement de vacataires et de contractuels non formés n’est pas une nouveauté dans l’Education Nationale mais cette année, le ministère, pour tenir son engagement “d’un professeur devant chaque élève, a été encore plus loin en organisant des speed datings un peu partout en France. Les personnes recrutées par ce biais n’ont souvent aucune expérience ni formation dans l’enseignement et se retrouve en position d’enseigner après une formation express de 4 jours.
Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes appelle ces méthodes “de l’affichage” au micro de BFMTV.com:
“Le ministère pourra à la rentrée cocher la case d’un enseignant devant chaque classe, comme il l’a promis, mais combien de contractuels vont démissionner, combien vont craquer? On oublie qu’enseignant, c’est un métier qui s’apprend, pour lequel on est formé.” affirme-t-elle.
Enseignant, Un métier qui n’attire plus
Lorsqu’on demande à Maxime, professeur des écoles de CP, si elle pouvait changer quelque chose à l’école, quelle serait la priorité, elle répond: “je changerais le regard de la société sur ce métier”. Effectivement, si beaucoup pensent que les enseignants ne travaillent que quand ils sont devant leurs élèves, la réalité est bien éloignée. Le service d’un enseignant du premier degré en France est aujourd’hui de 24 heures de présence en classe auquel s’ajoute un service complémentaire annuel de 108 heures dont 60 heures d’aide personnalisé. Lors d’une enquête menée en 2010 par l’INSEE pour le ministère de l’Education Nationale, les enseignants du premier degré déclaraient une durée hebdomadaire de travail d’en moyenne 44 heures par semaines dont 60% devant les élèves, 30% consacrés à la préparation des cours et aux correction et 12% aux travail d’équipe et relations avec les parents ou à la formation continue. Ce temps de travail monte même jusqu’à 52 heures par semaine pour les profs des écoles débutant qui passe presque 10 heures de plus par semaine à préparer leur classe que les enseignants plus expérimentés. Ce décalage entre le temps de présence en classe et le temps de travail réel peut d’ailleurs commencer à expliquer les 6% de professeurs stagiaires qui démissionnent pendant leur première année d’enseignement.
Par ailleurs, malgré la réforme de la mastérisation en 2003 qui exige que les professeurs des écoles soient recrutés au niveau master et non plus au niveau licence, le statut des enseignants du premier degré n’a pas été revalorisé. Le salaire brut d’un professeur des écoles débutant n’est aujourd’hui supérieur au smic que d’un tiers, alors qu’il représentait environ deux fois le salaire minimum en 1990.
Ainsi Jean-Paul Brighelli, professeur de Lettres et essayiste affirme au micro de RTL que
“l’image du prof a évolué au fur et à mesure que son salaire a évolué vers la bas. Nous sommes dans une société (…) où c’est dis-moi ce que tu gagnes je te dirai ce que tu vaux et aujourd’hui un prof ne vaut plus rien.”
Soulignant ainsi que les faibles salaires des enseignants participent fortement au déclassement général de la profession.
Au-delà des difficultés de recrutement, l’Education Nationale est aussi touchée par un phénomène grandissant de départ des agents: le nombre de démission est passé de 364 en 2009 à 2 286 en 2021. Viennent s’ajouter à ça les ruptures conventionnelles, possibles depuis janvier 2020, et les disponibilités pour réorientation professionnelle.
Des conditions de travail qui poussent les profs vers la sortie
Lorsqu’on interroge les professeurs démissionnaires sur les raisons de leur départ ils ne répondent jamais les élèves ou le métier en lui-même mais toujours les conditions de travail. William, prof d’anglais bien connu sur Twitter sous le pseudo de Monsieur le prof, exprime les choses ainsi:
“je suis en train d’écrire un livre sur les profs qui démissionnent et les raisons qui ressortent le plus souvent sont toujours les mêmes: le mépris de l’institution, le manque de moyens, le salaire, les mutations et le prof bashing”
On retrouve ainsi des origines multifactorielles à ce mouvement qui s’intensifie chaque année mais elles sont toutes liées au même sentiment général de déclassement et de délaissement. Des enseignants jadis investis ne se retrouvent plus dans le métier tel qu’il est exercé aujourd’hui et préfère le quitter pour sauver leur peau.
Le mépris de l’institution se traduit par des réformes incessantes et hors sol imposées de façon descendante par des politiciens ou des hauts-fonctionnaires déconnectés du terrain (réforme du lycée, réforme des lycées professionnelles, nouveaux programmes…). La maltraitance parfois affichés des agents par leur hiérarchie ou encore la gestion catastrophique de la crise du COVID par Jean-Michel Blanquer ont pour certains été la goutte de trop. Protocoles à répétitions plus ou moins réalistes, très peu de mesures des protections pour les agents (masques…): le manque de communication et de respect du ministre pour les professeurs pendant la crise sanitaire a atteint son paroxysme lors de la publication dans un article payant du nouveau protocole à mettre en place dès le lendemain dans les établissements. Les profs se sont alors largement étonnés ur les réseaux sociaux de cette pratique plus que surprenante.
Le dialogue entre les successifs gouvernements et ses agents est coupé, Jérémie, professeur de SES au lycée le dit ainsi au journal La Vie:
« J’ai peu de foi dans le système, je n’attends rien de l’institution. Je ne crois pas que mon métier changera, quel que soit le Président ou le ministre. “
Les professeurs n’attendent plus rien de leur hiérarchie, ils ne peuvent compter que sur eux-même et le savent bien, à moyen terme cette situation entraine chez certains un sentiment d’abandon voire de devoir “lutter” contre le système et les poussent à quitter un métier qu’ils affectionnent.
Au delà du mépris de leur hiérarchie, les professeurs sont aussi confrontés à un phénomène plus large appelé le “prof bashing”. Le métier d’enseignant est aussi exposé que méconnu. Tout le monde a un jour dans sa vie été à l’école donc tout le monde a l’impression de connaître cette fonction. Malgré un élan de reconnaissance pendant le premier confinement qui n’aura pas duré, les idées reçues sur ce métier ont la vie très dure et sont bien éloignées de la réalité. Les professeurs ont la sensation de devoir en permanence justifier leur choix pédagogiques, la façon dont ils font leur métier, leur salaire, l’organisation de leur temps. William le résume ainsi:
“on est toujours ramené à des clichés éculés: vous êtes toujours en vacances. Je connais peu de métiers où on doit se défendre constamment de ce qu’on fait.”
Personne ne penserait à expliquer à un comptable qui fait 2 jours de télétravail par semaine que c’est cool la semaine de trois jours ou au présentateur du journal télévisé que travailler 40 minutes par jour c’est quand même super tranquille. Et pourtant c’est ce que subissent en permanence les enseignants entrainant un ras-le-bol généralisé comme le souligne Maxime, maitresse de CP depuis 7ans:
“ le métier de prof aujourd’hui en France est tellement déclassé, c’est devenu quelqu’un qu’on met dans la classe et qui occupe les élèves. Ça montre le respect qu’on a de cette profession…”
Par ailleurs, une autre conséquence de la crise du recrutement est l’absence de presque totale de mobilité. Le concours de recrutement de professeur des écoles est un concours par académie. De plus en plus d’académies deviennent impossibles à quitter et nécessitent d’attendre de nombreuses années avant de pouvoir espérer une mutation. Le ministère de l’Education Nationale indique que seulement 20% des enseignants du premier degré obtiennent leur mutation. Ainsi les agents sont pousser à se mettre en disponibilité ou démissionner pour pouvoir déménager pendant que les académies où ils souhaiteraient aller exercer embauchent des contractuels. Une situation ubuesque comme l’Education Nationale sait bien faire.
Des annonces qui ne convainquent pas et des revendications ignorées
Lors du débat de l’entre-deux tours de la présidentielle 2022, Emmanuel Macron avait annoncé des hausses de salaire sans condition pour les enseignants. Si le nouveau ministre Pap Ndiaye a en effet confirmé un salaire plancher de 2000e nets à partir de septembre 2023 pour les débutants et des augmentations de salaire – non quantifiées – pour les professeurs en “milieu de carrière” (ndlr: jusqu’à dix ans d’ancienneté), les augmentations pour tous ne semblent pas être d’actualité. A ce jour, un professeur des écoles de classe normale à l’échelon 6 (environ dix ans d’ancienneté) gagne 1830€ nets par mois, au bout de vingt ans, à l’échelon 9 il gagne 2194€, la rémunération maximum étant 2503€ à l’échelon 11. Les enseignants du premier degré n’ont pas la possibilité de faire des heures supplémentaires. Les enseignants en début de carrière gagneront donc bientôt autant que leur collègues expérimentés. Le président avait aussi précisé que ces augmentations seraient sans condition. Cependant lorsque Pap Ndiaye a présenté son “pacte enseignant”, celui-ci prévoyait de nouvelles missions afin d’obtenir des rémunérations complémentaires. Il a ainsi proposé sur RTL que les enseignants surveillent les récréations ou l’heure du déjeuner. Ces déclarations ont fortement fait réagir les professeurs des écoles sur les réseaux, choqués de temps de méconnaissance de leur quotidien. D’une part, les PE surveillent déjà les temps de récréation et d’autre part, le temps du midi est utilisé entre autres pour les activités pédagogiques complémentaires, les réunions, les corrections… Ces annonces semblent bien déconnectées de la réalité du terrain.
Le jeudi 29 septembre puis le mardi 18 octobre de nombreux syndicats enseignants ont appelé à la grève notamment pour l’augmentation massive des salaires. Ces grèves sont peu suivies dans le premier degré notamment car, contrairement aux idées reçues, elles coûtent une journée de salaire aux grévistes et parce que cela fait des années que les enseignants n’obtiennent plus aucune amélioration de leurs conditions de travail à la suite de leurs mouvements sociaux. Puisqu’ils n’ont plus d’espoir, les enseignants ne font pas grève, ils démissionnent. Le service publique d’éducation tiens aujourd’hui grâce à l’investissement et la dévotion de ses agents qui placent leur mission d’intérêt général avant leurs intérêts et même parfois leur bien-être. A quand les réformes et les revalorisations que l’école, ses élèves et ses enseignants méritent ? A quand un vrai projet de société pour l’école en dehors des calculs politiciens ?
Sources:
Libération: Prof un métier qui n’attire plus
Education.gouv: La rémunération des enseignants
Education.gouv: Temps de travail déclaré par les enseignants
RTL: Le débat avec Jean-Paul Brighelli
Radio France: Monsieur le Prof démissionne, portrait d’un enseignant qui veut sauver sa peau.
Le café pédagogique: Pap Ndiaye met la surveillance des récréations dans le nouveau pacte
Tf1 Info: Emmanuel Macron précise sa revalorisation des enseignants
La Vie: Parole de profs