Depuis son arrivée au gouvernement, le ministre de l’Education Nationale Pap Ndiaye doit faire face à une crise sévère du recrutement dans l’enseignement public. En 2022, Il y avait 14 117 candidats au CRPE pour 8323 postes. 6582 candidats ont été admis pour un taux d’admission de 46 % laissant 1741 postes non pourvus (le taux d’admission était encore de 15% en 2009). Pour palier à ce manque de personnels, différentes académies avaient organisé des “speed datings” afin de recruter des enseignants contractuels. Le ministre a ainsi pu dire que la rentrée s’était bien passée et qu’il y avait un enseignant devant chaque classe. Cependant les retours du terrain sont un peu différents et quelques mois plus tard de nombreux articles fleurissent dans la presse généraliste sur les conditions de travail des contractuels remettant ainsi en perspective le quotidien des enseignants du premier degré.
Des débuts difficiles
Devenus professeurs des école un peu par hasard ou attirés par les vacances et les 24 heures de classe, les contractuels ont été recrutés cet été après de courts entretiens et sans aucune expérience dans l’enseignement. Après seulement quatre jours de formation, ces néo-enseignants ont été affectés devant des classes un peu partout en France mais surtout dans les académies d’Ile de France là où la crise du recrutement est la plus sévère.
Dans l’article du Monde 28 octobre 2022 on peut ainsi lire que ces enseignants contractuels subissent un “choc de réalité”. Contrairement à la situation dépeinte en entretien et lors des formations, ils se trouvent vite débordés et ont du mal à faire face d’une part à la charge de travail et d’autre part à la gestion de classe au jour le jour.
“Une claque”, un “tsunami”, “une plongée vertigineuse”, voilà le vocabulaire utilisé par ces débutants pour décrire leurs premières semaines en classe. De même sur BFMTV.COM on peut lire que Sana 30 ans, architecte d’intérieur “en pause” se sent débordée. “Elle ne s’attendait pas à une telle quantité de travail, à des enfants qui font beaucoup de bruit, aux différences de niveau entre les élèves. Surtout Sana pensait qu’on lui transmettrait des cours clés en main.”
Rachel témoigne aussi:
“Au début, c’était la panique. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil, j’avais peur de mal faire. Je regardais les comptes Instagram ou les blogs d’enseignantes chevronnées. Ça a l’air tellement plus fluide pour elles”.
Qui l’eût-cru, enseignant n’est pas un métier qui s’improvise. Les enseignants alertent depuis longtemps sur la multiplication des tâches annexes, les disparités de niveaux au sein des classes avec des effectifs qui ne permettent pas toujours une réelle différenciation pédagogique ou encore un salaire qui n’est pas à la hauteur des heures de travail fournies mais visiblement leur discours n’était pas audible puisque de nombreux contractuels se sont engagés dans cette voie en pensant que c’était un métier tranquille où “on a son mercredi”.
Ce “prof bashing” entretenu jusqu’au plus haut niveau de l’état puisque Sidbeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement, avait tout simplement suggéré aux profs d’aller donner un coup de main aux agriculteurs pour ramasser les fraises pendant que les écoles étaient fermées pendant le premier confinement dû à la crise du COVID.
Pap Ndiaye a quant à lui, depuis son arrivée au poste de Ministre de l’Education Nationale, décidé de prendre la question de la crise du recrutement à bras le corps. Il a ainsi promis un “choc d’attractivité” pour redonner aux concours de l’enseignement leur attrait.
Le choc d’attractivité n’a pas eu lieu
Promettant entre autres 10% de hausse de salaire pour tous les enseignants qui n’en sont pas vraiment ou un nouveau “pacte enseignant” pour permettre de rémunérer de supposées nouvelles tâches qui sont très souvent déjà assumées par les enseignant, le nouveau représentant du gouvernement d’Emmanuel Macron voulait créer un nouvel élan vers les métiers de l’enseignement. Cependant, les enseignants sont restés sceptiques devant ces mesures pas vraiment à la hauteur des promesses faites.
Pap Ndiaye a ainsi indiqué au micro de FranceInfo qu’il y avait +9% d’inscrit au concours du premier degré relevant ainsi un mieux par rapport à l’année noire de 2022 mais que “cela ne suffit pas à renverser la tendance” surtout que les inscrits ne se présentent pas toujours aux concours. Le manque d’attractivité des métiers de l’enseignement reste une réalité qui inquiète le milieu de l’éducation et notamment les syndicats. Frédéric Marchand, secrétaire de l’UNSA Education dit ainsi à Marianne:
“La crise s’enkyste et fragilise le service public d’éducation. La question de l’attractivité de nos métiers devient de plus en plus un enjeu majeur.”.
Le ministre reconnait donc que les conditions de la rentrée 2023 “ne seront pas fondamentalement différentes que la rentrée précédente”. Il affirme aussi que la revalorisation enseignante va prendre du temps mais rappelle qu’aucun enseignant ne gagnera moins de 2000 euros nets par mois sans préciser que ces hausses concernent uniquement les débuts de carrière.
Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat SNES-FSU:
“Le ministère communique beaucoup mais faute de mesures fortes et ambitieuses sur les questions de salaires et conditions de travail, il ne parvient pas à amorcer un reflux de la crise du recrutement.”
La question reste donc entière, quelles mesures envisager pour redynamiser le secteur du service public d’éducation ?
Vers un nouveau concours dans le premier degré ?
Un mission parlementaire menée par les députés Cécile Rihlac (Renaissance) et Rodrogi Arenas (LFI) a vu le jour pour prendre à bras le corps le problème de la crise du recrutement. Ils ont publiés leur conclusion le mercredi 23 novembre 2022 et ont mené une réflexion aussi bien sur la forme du concours que sur les affectations et la mobilité des enseignants de l’école primaire.
La mission suggère ainsi de déplacer le concours de recrutement du premier degré en fin de troisième année de licence sans remettre en cause la titularisation à bac +5 puisque les étudiants seraient formés en alternance pendant les deux années de master notamment en assurant les décharges des directeurs. Les députés remettent d’ailleurs en question l’existence même du concours imaginant “un cursus dont chaque année serait qualifiante et validée permettant in fine de se dispenser d’un concours final” à l’instar du Canada par exemple. Cette mesure viserait à attirer des étudiants issus de catégories sociales moins favorisées pour qui 5ans d’étude est un coût pas toujours possible à assumer.
Dans les autres mesures que les rapporteurs de la mission ont soulevé on retrouve notamment des propositions pour favoriser la mobilité géographique des enseignants du premier degré et mettre fin à “différentes rigidités excessives”. Ils prônent ainsi un examen plus attentif des situations personnelles ou encore une “garantie de retour” pour les enseignants qui accepteraient de débuter dans les académies en pénurie contre une certitude de retour dans leur région d’origine au bout d’un temps défini. Les députés souhaiteraient aussi renforcer la participation des organisations syndicales dans les dossiers de mobilité à l’inverse de la politique menée par le gouvernement précédent afin d’instaurer “davantage de transparence”. Ces mesures n’ont pas été chiffrées et ne sont pour l’instant que des propositions. Si elle soulève clairement les bonnes problématiques quant aux problèmes d’attractivité et de mobilité des enseignants, on peut se demander si elles seront un jour mises en oeuvre.