Dans cette troisième édition de l’interview décalée, nous rencontrons Delphine, professeur des écoles depuis 2001. Elle est aujourd’hui professeur de CP. Delphine tient son blog “La classe de Défine” depuis 12 ans.
Bonjour Delphine, est-ce que tu peux nous parler de ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Bonjour, je m’appelle Delphine, je suis prof des écoles depuis 2001. Ça commence à compter mais apparemment notre ministre a dit que c’était bientôt la retraite alors c’est bon (rires). J’ai une classe de CP après avoir eu pas mal de niveaux différents. J’ai eu tous les niveaux à part la grande section et le CM2. J’ai même eu des très grands, ma première année j’ai été nommée en EREA. C’est un internat pour des jeunes de 16 à 21 ans qui sont handicapés moteurs. Je m’occupais de leur vie de tous les jours et je faisais 1H30 de soutien par semaine. C’était mon seul rôle d’enseignante dans la semaine.
C’est original comme entrée dans le métier !
C’est pas mal hein ! C’est pas du tout frustrant quand tu as qu’une envie c’est d’enseigner… Mais je faisais un travail d’éducatrice, la douche, je les aidais à manger. Voilà c’était différent quoi.
Maintenant j’enseigne dans l’Essone. J’ai travaillé aussi dans les Hauts-de-Seine.
Sinon je tiens mon blog depuis 12ans. Ça commence à faire maintenant. Je partage mon travai depuis ces douze années. Il y a pas pas mal de restes des années précédentes donc il doit y avoir du cp, du ce1, du ce2 et un peu de CM1. Et puis les réseaux aussi pour papoter parce que sinon c’est pas drôle!
Qu’est ce qui t’as donné envie de te lancer dans un blog il y a douze ans ?
Quand j’ai été nommée à titre définitif dans une nouvelle école. Je démarrais avec plein de nouveaux collègues que je ne connaissais pas et avec qui j’ai beaucoup échangé sur des niveaux que je ne connaissais pas encore. Je me suis dit pourquoi pas faire un blog, ça commençait à émerger doucement. J’avais le modèle de Charivari et de Lutin Bazar, mes deux grandes mentors.
C’est marrant, tu n’es pas la première à les citer comme source d’inspiration.
Ah bah oui quand je voyais tout ce qu’elles arrivaient à mettre sur leur blog, tout ce qui nous aidait à voir les choses autrement, à économiser du temps de préparation. Je me suis dit, je me lance dans l’aventure on verra bien. Puis douze ans après j’y suis encore (rires).
Est-ce que tu as un souvenir marquant en tant qu’élève?
Mon souvenir le plus marquant c’est d’avoir été dans la classe de ma mère. J’ai passé deux années dans sa classe en CP et en CE1. C’est deux années qui m’ont beaucoup marquée.
Mais positivement ? Tu as aimé ?
Disons que j’ai deux versants. D’un côté j’ai adoré être avec ma maman. Je jouais vraiment le jeu de la petite élève en classe, je l’appelais maitresse et tout. C’était drôle. Mais à côté de ça c’était pas forcément évident d’être la fille de la maitresse. Le regard des autres était un peu dur, je me le suis trainé un moment d’être la fille de la maitresse. Jusqu’à ce que je change d’école en tous cas. Il y avait un peu de jalousie. Ils pensaient que je connaissais les évaluations avant, que ma mère m’aidait.
Vous étiez soupçonnées de favoritisme ?
Oui exactement. Alors que pourtant elle était très juste. J’étais vraiment traitée comme une élève comme une autre.
Tu étais plutôt bonne élève alors ?
En maternelle et élémentaire, j’étais plutôt bonne élève oui même si j’étais un peu coquine. Ça s’est un peu compliqué au collège puis au lycée ça a été mieux. Le collège était une parenthèse pas très agréable disons. Mais je crois que le collège c’est un peu difficile pour tout le monde.
Et pendant ta scolarité, est-ce qu’un maitre ou une maitresse t’as marqué ? Bon, ta maman j’imagine…
Et oui forcément… J’ai aussi eu une prof de maths pendant 4ans au collège qui ne m’a pas laissé un très bon souvenir. Au lycée j’ai eu des profs géniaux et notamment un prof de maths en seconde qui m’a redonné goût aux maths. A tel point que j’ai pris option maths au bac. Des profs de langues aussi, qui étaient très bienveillants dans l’échange avec nous. J’ai aussi un très très bon souvenir de ma maitresse de grande section.
C’est chouette ça parce que les maitresses de maternelle, on ne s’en souvient pas toujours…
Oui c’est vrai ! Mais je m’en souviens très bien.
Et en tant qu’enseignante, est-ce que tu as eu un moment significatif dans ta carrière où tu t’es dit ah oui je suis vraiment à ma place dans ce métier ?
En général quand je vois qu’il y a une nouvelle notion qui est acquise je me dis ah ouf je n’ai pas servi à rien. Il ne faut pas se leurrer, il y a des enfants parfois dans la classe qui avancent très bien tout seuls et qui avanceraient très bien si je n’étais pas là.
Mais il y a en a d’autres pour qui il faut plus insister, ça peut être parfois long donc quand on voit que c’est compris, qu’il y a une petite étincelle qui arrive dans leurs yeux, on est content.
Notamment chez les CP quand ils commencent à savoir déchiffrer on se dit ok on tient le bon bout !
Surtout qu’en CP c’est très quantifiable, ils passent de je ne sais pas lire à je sais lire.
Après il y en a qui arrivent en sachant quasiment déjà lire. Ils arrivent en ayant compris que deux sons ensemble ça se combine donc la lecture ça vient tout seul.
Et dans l’autre sens, est-ce que tu as vécu un moment de solitude où tu t’es dit mais qu’est ce que je fais là…
Ça me fait rire maintenant mais sur le coup ça ne m’a pas du tout fait rire ! Ça n’a rien à voir avec la pédagogie. J’étais en sortie avec ma classe pour aller à l’Opéra de ma commune. J’étais à un feu et une petite élève me tend la main et moi je lui fais un check. Là elle se met à pleurer toutes les larmes de son corps. Je ne comprends pas trop, je lui demande ce qu’il y a. Et elle me dit “j’avais ma dent dans la main, j’ai perdu ma dent” en pleurant. Evidemment je n’ai jamais retrouvé la dent. Elle a pleuré une bonne partie du temps parce qu’en plus c’était la première dent qu’elle perdait. A 16H30, je me suis excusée mille fois auprès de sa maman mais je me suis vraiment sentie trop mal… (rires)
Quel est le moment de la journée que tu préfères ?
Alors moi c’est le matin quand j’arrive.
Quand je pense encore que je vais tout réussir à faire comme j’avais prévu (rires). Et à la fin de la journée je me dis ah ben non encore raté.
En ce moment j’aime bien aussi le matin parce qu’on fait un accueil échelonné dans les classes donc ils arrivent presqu’un par un. C’est agréable d’avoir un petit échange plus personnalisé avec chacun. Toute la journée à 26 élèves, des interactions duelles il n’y en a pas beaucoup malheureusement donc c’est un bon moment.
Et alors, au contraire est-ce qu’il y a des moments que tu n’aimes pas ou des matières qui ne sont vraiment pas ta tasse de thé ?
Les sciences ce n’est vraiment pas mon truc. Ça me soule d’aller chercher le matériel, ça me soûle de l’installer. Vraiment c’est pas mon truc, je me force. (rires)
C’est difficile d’être polyvalent en même temps.
Oui on a chacun des parcours différents. Moi j’ai fait des études de lettres modernes donc forcément je suis plus littéraire. Heureusement j’arrive à faire des projets un peu sympas. J’avais fait un projet de l’oeuf à la poule mais manque de pot les oeufs ont éclot en plein pendant le confinement (rires). J’ai aussi fait de la larve à la coccinelle. Donc c’est sympa pour le vivant mais l’électricité, flotte/ coule et compagnie je n’aime pas du tout.
Qu’est-ce qui t’as donné envie de devenir maitresse ?
Le modèle de ma maman déjà m’a beaucoup inspiré. Depuis très longtemps j’aime beaucoup les enfants. J’ai fait des centres de loisirs, je me suis très tôt tournée vers l’enfance. C’est un peu comme le matin en fait. C’est le champ des possibles, on peut projeter des choses avec eux qu’on ne peut pas forcément projeter avec les adultes. Puis le monde économique, du business ça ne m’attire pas du tout donc de toutes façons je voulais travailler auprès de l’humain et je me suis naturellement tourné vers ce métier.
C’est le premier métier que tu as exercé ?
Oui j’y pensais déjà quand j’étais en CE2. Je suis aussi passée par le stade coiffeuse après mais non c’est vraiment ce que je voulais faire depuis que je suis petite.
Donc pour toi c’était vraiment une vocation ?
Ah oui pour moi c’était clairement une vocation.
Est-ce que tu as eu des élèves auxquels tu t’es un peu identifiée ou des chouchous ?
Des chouchous j’essaye vraiment de faire attention à ne pas en avoir. Après on ne va pas se le cacher on a plus ou moins d’affinités avec certains élèves. Encore une fois on travaille avec des êtres humains donc on a nos sensibilités. Mais j’essaye vraiment de faire en sorte de ne pas le montrer. Je dirai même que je fais encore plus attention à ceux qui m’agaceraient ou qui sont pénibles, ne se mettent pas au travail et je les valorise encore plus pour les encourager. Donc pour trouver mes chouchous il faut bien chercher parce que je pense que ça ne se voit pas du tout (rires). J’essaye de faire attention à ça parce que je pense que chaque enfant a sa place dans la classe même si parfois ils sont pénibles. Peut-être que moi aussi je suis pénible pour eux (rires) et ils ne viennent pas me le dire pour autant. Donc j’essaye vraiment de valoriser quand ils réussissent que ce soit dans leur comportement ou dans leur travail.
Si tu avais une baguette magique qu’est ce que tu changerais à l’école ?
Pour moi le plus urgent ce serait de mettre les moyens humains et matériels pour l’école parce que là je trouve que plus ça va moins ça va. Les moyens humains parce que se retrouver à 26 CP dans une classe je ne trouve pas ça normal. Quelque soit le niveau je trouve que 20 / 22 élèves ça devrait être le maximum. Là on en est bien loin…. Quand j’entends des double ou triple niveaux à 28 ou même 32 je me dis que même mes poules ont plus d’espace dans leur enclos…
Les moyens financiers, le problème c’est que c’est très variable. On dit éducation nationale mais ce sont les communes qui choisissent d’investir ou pas dans l’éducation donc ça peut être très variable d’une commune à l’autre et ce n’est pas très égalitaire. On n’a pas tous les mêmes moyens. Les coopératives scolaires aussi c’est très dépendant de la classe sociale des parents donc c’est un système assez injuste je trouve. Plus je vieillis et plus j’ai du mal avec ce sens de la justice.
Je trouve qu’on devrait vraiment remettre à plat les choses et que ça soit plus équitable. Certaines classes sont équipées d’un tableau numérique et d’autres pas par exemple. Donc tous les enfants n’ont pas les même moyens pour réussir.
Sinon, quoi d’autres ? Les salaires des enseignants évidemment !
Ça fait partie des leviers pour avoir plus de moyens humains en plus…
Oui voilà, mieux payer les enseignants c’est reconnaître leur travail, attirer plus de gens et des gens plus qualifiés.
Dans les moyens humains, je pense aussi aux RASED (réseau d’aide aux enfants en difficulté NDRL) qui sont en voie de disparition. Pourtant quand on a des enseignants de RASED compétents c’est encore plus rageant parce qu’on se dit qu’ils pourraient être tellement utiles mais ils sont en sous-effectifs donc leur aide est saupoudrée et pas vraiment aussi utile qu’elle pourrait.
Voilà c’est déjà pas mal, tu vois c’est deux trois petites choses (rires).
Ah oui des petits détails (rires)
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